Alors que les villes intensifient leurs projets d’électrification, bon nombre de collectivités rurales et éloignées ainsi que des communautés autochtones doivent composer avec une réalité énergétique très différente.
La transition énergétique (en anglais seulement) fait partie d’un effort mondial visant à délaisser les combustibles fossiles (comme le charbon et le pétrole) au profit des sources renouvelables (comme l’énergie solaire et hydraulique) pour produire de l’électricité et pour alimenter nos habitations et nos véhicules. En outre, il est fondamental d’atténuer l’impact des changements climatiques et de prévenir leurs pires effets.
Dans le présent article, nous explorons à quoi ressemble la décarbonation en dehors des limites de la ville et pourquoi il est essentiel de s’engager sérieusement auprès des collectivités rurales, éloignées et autochtones au nom de l’environnement, de l’équité et de la justice sociale. Comme environ un cinquième des Canadiens vivent dans ces secteurs, il s’agit d’une partie importante de la population du pays.
QUEST Canada (en anglais seulement), un organisme de bienfaisance enregistré qui soutient les collectivités dans leurs démarches de transition énergétique, a lancé un projet de recherche afin de comprendre les différents besoins d’énergie et les obstacles qui sont propres à ces régions du pays.
« Le Canada dépend des terres en culture et des populations rurales pour des projets d’énergie renouvelable, pour la production alimentaire et pour le stockage du carbone », affirme Gemma Pinchin, dirigeante principale, Recherche et projets à QUEST Canada. « Il serait plutôt inconcevable de ne pas tenir compte d’un si grand groupe de personnes. »
Des défis uniques
Les zones rurales disposent souvent de réseaux d’électricité plus vieux et d’une connectivité à l’Internet moins fiable, ce qui peut compromettre l’adoption de nouvelles technologies énergétiques. En particulier, la vie rurale est synonyme d’agriculture, qui devient de plus en plus vulnérable aux impacts des changements climatiques. Il est essentiel de convaincre les producteurs agricoles d’intégrer à leurs méthodes la production d’énergie renouvelable et de biocarburants, et de participer au stockage du carbone. Mais il y a certains enjeux dont il faut tenir compte.
« Dans mon analyse de la documentation, j’ai retenu notamment le problème suivant : on s’attend non seulement à ce que les fermiers produisent suffisamment de denrées pour nourrir la société, mais aussi à ce qu’ils aient un plan pour séquestrer le carbone sur leurs terres – parfois sans formation ni soutien pour mettre ce plan en œuvre et sans savoir comment ça pourrait fonctionner sur leur ferme », explique Mme Pinchin.
Pour 200 000 Canadiens répartis dans plus de 280 collectivités éloignées, le raccordement au réseau d’électricité local ou au système de gaz naturel est tout simplement impossible compte tenu de la distance entre leur lieu de vie et les infrastructures énergétiques qui existent dans leur province ou leur territoire.
« Un grand nombre de collectivités éloignées qui ne sont pas raccordées au réseau sont complètement dépendantes du diesel pour la production d’énergie », souligne Mme Pinchin. « Lorsque le réseau a été construit, on estimait que ce n’était pas économique de raccorder ces collectivités éloignées aux réseaux d’électricité provinciaux parce qu’elles sont peu populeuses et qu’il en coûterait très cher de prolonger les infrastructures jusqu’à elles. Le Canada est un très grand pays et il compte beaucoup de collectivités qui vivent loin des lignes électriques, alors le diesel est pas mal la seule option. »
Dans les centres urbains, l’accès aux transports collectifs constitue une option durable pour les citadins. En revanche, les habitants des régions rurales et éloignées n’ont souvent que leur véhicule personnel pour accéder aux services essentiels.
« Bien des services disparaissent des collectivités rurales et, à première vue, on ne croirait pas que c’est un enjeu sur le plan énergétique », mentionne Mme Pinchin. « Mais quand les soins de santé et les épiceries ne sont plus accessibles dans les villages, les émissions de gaz à effet de serre augmentent puisque les gens doivent faire beaucoup de route pour voir un médecin, par exemple. Sans véhicules pour se déplacer dans les zones rurales et éloignées, les gens seraient incroyablement isolés. »
Décolonisation du réseau d’électricité
Les études sur le climat démontrent systématiquement que les collectivités éloignées et les communautés autochtones doivent composer avec des impacts disproportionnés des changements climatiques. Pensons ici à la pauvreté énergétique, exacerbée par le coût élevé du diesel (en anglais seulement), qui a des répercussions considérables sur les dépenses liées à l’énergie et à la vie courante.
Gemma Pinchen souligne à quel point il est important que tout projet touchant des terres autochtones comporte un volet d’engagement sincère auprès de la communauté. Ainsi, un engagement significatif par le biais de la transition énergétique est l’occasion de corriger des injustices historiques et de soutenir les droits et l’autodétermination des peuples autochtones avec des initiatives comme le codéveloppement de projets et le partage équitable des bénéfices.
Selon des données de la Régie de l’énergie du Canada, la propriété autochtone de projets d’énergie renouvelable sur des territoires traditionnels ou des terres de réserves autochtones est en croissance : « En 2022, Premières Nations, Métis et Inuits étaient partenaires ou bénéficiaires dans près de 20 % des infrastructures existantes de production d’électricité au Canada, la plupart du temps à partir d’énergies renouvelables. » Entre 2009 et 2020 seulement, ces projets ont quadruplé; 21 % d’entre eux sont des projets solaires tandis que 17 % sont des projets éoliens.
« C’est vraiment une question de décolonisation et de décoloniser le réseau d’électricité », estime Mme Pinchin. « Il me semble que la statistique est la suivante : 80 % de toute la biodiversité est actuellement protégée par des peuples autochtones du monde entier. Alors, si quiconque a l’intention de mener des activités ayant le potentiel de perturber un aspect de la biodiversité ou même des terres, il est vraiment important de pouvoir compter sur la participation et la contribution des Autochtones pour tenter de combattre la crise climatique. C’est aussi important pour la décolonisation, la réconciliation et la culture autochtone. »
Aucune solution universelle
La production d’énergie renouvelable est une solution prometteuse pour les collectivités qui dépendent du diesel, mais l’efficacité varie en fonction des régions. Par exemple, l’énergie solaire peut être idéale dans certaines zones, tandis que l’énergie marémotrice convient mieux aux collectivités côtières. Cet aspect met en lumière le grand constat de la recherche de QUEST : il n’existe pas de solution universelle pour les collectivités qui dépendent du diesel; chacune requiert des approches sur mesure, adaptées à leurs conditions et ressources particulières.
Selon Mme Pinchin, la mise en œuvre de solutions à l’échelle locale nécessite une profonde compréhension du contexte communautaire, mais elle devrait également être soutenue par une stratégie nationale souple. Ce cadre général peut donner une certaine orientation tout en laissant les collectivités libres d’adhérer aux solutions qui répondent le mieux à leurs besoins. Il s’agit d’une approche pluridimensionnelle visant à assurer à la fois la cohérence des démarches et le renforcement des capacités, essentiel à l’autonomie des collectivités.
Formation et soutien au fil de la transition énergétique
« Dès l’adoption d’une nouvelle technologie – par exemple un parc solaire –, il faut tabler sur la création d’emplois et la formation de la main-d’œuvre pour que les gens soient en mesure d’entretenir ces structures », précise Mme Pinchin. « Même à une plus petite échelle, il faut offrir de la formation dans les collectivités rurales et éloignées pour des choses comme les thermopompes, parce qu’on constate que les gens veulent maintenant en faire installer chez eux. »
Pour ce qui est de la transition énergétique à une plus grande échelle, il apparaît de plus en plus évident qu’il n’y a pas suffisamment de techniciens en thermopompes ou de personnes qui savent comment installer des systèmes de production solaire et de stockage d’énergie. De l’avis de Mme Pinchin, il faudrait envisager de former les gens qui travaillent actuellement dans l’industrie des combustibles fossiles.
« Nous avons ces tactiques, mais nous devons former les gens localement pour les initier, puis comprendre quoi faire pour les aider à poursuivre sur leur lancée », ajoute Mme Pinchin. « Si nous voulons une transition équitable, nous ne pouvons pas laisser de côté les gens qui ont travaillé toute leur vie dans l’industrie pétrolière et gazière. À cet égard, les gouvernements pourraient, par exemple, mettre sur pied des programmes de reconversion professionnelle. »
Parlant de gouvernements, Mme Pinchin souligne l’importance de mettre en place un mécanisme de financement simplifié, réservé aux collectivités rurales, éloignées et autochtones qui doivent rivaliser pour obtenir des subventions afin de couvrir les coûts initiaux de leurs projets énergétiques. Cette approche aiderait ces collectivités à garantir l’obtention d’une subvention avant que les fonds ne soient entièrement alloués dans d’autres régions.
La transition énergétique est certes un défi complexe, mais il est essentiel de prioriser les besoins locaux, la collaboration, la décolonisation et la formation. Alors que le Canada vise à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, il est crucial de ne pas mettre ces collectivités de côté. À cet égard, il faut non seulement s’occuper de leurs besoins d’énergie particuliers, mais aussi reconnaître l’importance des solutions conçues par les Autochtones et travailler avec les collectivités dans le but de réaliser une transition énergétique juste et équitable pour tous.
Pour écouter le reste de l’entrevue réalisée avec Gemma Pinchin et en savoir davantage sur les défis et perspectives uniques avec lesquels doivent composer les collectivités rurales, éloignées et autochtones en matière de transition énergétique, branchez-vous sur cet épisode du balado ThinkEnergy (en anglais seulement).